Discours de M. Yves Carmona à l’occasion du 11 novembre 2013

Nous commémorons aujourd’hui la signature à Rethondes, le 11 novembre 1918, de l’Armistice entre la France et l’Allemagne, qui met fin à la Première Guerre mondiale. Comme chacun sait, les commémorations du 11 novembre sont désormais l’occasion de rendre hommage aux soldats morts pour la défense du territoire national ou hors du sol de France, dans tous les conflits qui ont été menés au nom de nos valeurs, pour la défense de la liberté et de la paix. C’est ce que nous avons fait il y a quelques minutes au cimetière militaire.

Faut-il le rappeler ? La France est en paix, réconciliée avec ses adversaires d’hier et solidaire de ses alliés historiques. J’ai invité ce soir l’ensemble des chefs de mission diplomatiques avec lesquelles nous entretenons des relations et je remercie ceux qui nous ont rejoints.

La France ne redoute plus ses voisins, et pourtant elle ne baisse pas la garde. Malgré les difficultés budgétaires, elle reste un des pays européens qui consacre le plus de moyens à sa défense. Elle est présente dans de nombreuses opérations de maintien de la paix sous mandat des Nations unies ou de l’Union Européenne.

Il faut donc rendre justice au courage de ceux qui ont combattu et de ceux qui combattent encore, mais leur courage individuel et collectif ne s’oppose pas à la recherche de la paix.

Nous avons ce soir parmi nous une classe du lycée Josué Hoffet, la classe de 3ème B, dont je salue la présence parmi nous accompagnée de ses professeurs Madame Amélie LAGARDE et Monsieur Frédéric BIQUIN.

A leur intention, permettez-moi de reprendre les propos d’un grand promoteur de la paix, Jean Jaurès.

Dans son discours prononcé au lycée d’Albi à l’occasion de la distribution des prix, le 30 juillet 1903, Jaurès, ancien élève puis professeur de ce lycée, devenu député socialiste de Carmaux, vice-président de la Chambre des députés et personnage clef de la majorité parlementaire, s’adresse à la jeunesse en ces termes, je cite :

« C’est donc d’un esprit libre aussi que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s’annonce par des symptômes multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. Il ne s’agit point de déshonorer la guerre dans le passé. Elle a été une partie de la grande action humaine, et l’homme l’a ennoblie par la pensée et le courage, par l’héroïsme exalté, par le magnanime mépris de la mort. Elle a été sans doute et longtemps, dans le chaos de l’humanité désordonnée et saturée d’instincts brutaux, le seul moyen de résoudre les conflits ; elle a été aussi la dure force qui, en mettant aux prises les tribus, les peuples, les races, a mêlé les éléments humains et préparé les groupements vastes. Mais un jour vient, et tout nous signifie qu’il est proche, où l’humanité est assez organisée, assez maîtresse d’elle-même pour pouvoir résoudre, par la raison, la négociation et le droit, les conflits de ses groupements et de ses forces. Et la guerre, détestable et grande tant qu’elle est nécessaire, est atroce et scélérate quand elle commence à paraître inutile. »

Puis, évoquant à grands traits des siècles d’affrontements, il conteste qu’ils soient inévitables et proclame sa foi dans la démocratie et la science, sources de paix :

« Malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif.

Non, je ne vous propose pas un rêve décevant ; je ne vous propose pas non plus un rêve affaiblissant. Que nul de vous ne croie que dans la période encore difficile et incertaine qui précédera l’accord définitif des nations, nous voulons remettre au hasard de nos espérances la moindre parcelle de la sécurité, de la dignité, de la fierté de la France. Contre toute menace et toute humiliation, il faudrait la défendre : elle est deux fois sacrée pour nous, parce qu’elle est la France, et parce qu’elle est humaine.

Même l’accord des nations dans la paix définitive n’effacera pas les patries, qui garderont leur profonde originalité historique, leur fonction propre dans l’œuvre commune de l’humanité réconciliée. Nous savons bien que l’Europe, pénétrée enfin de la vertu de la démocratie et de l’esprit de paix, saura trouver les formules de conciliation qui libéreront tous les vaincus des servitudes et des douleurs qui s’attachent à la conquête.  »

Jean Jaurès termine en réfutant les accusations de lâcheté lancées par les milieux nationalistes.

« Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication.
Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art.
Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille.
Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
 »

11 ans après, le 31 juillet 1914, un fanatique, Raoul Villain assassinait le leader socialiste alors qu’il dînait au café du Croissant, à Paris, à deux pas du siège de son journal, L’Humanité. Personne ne s’opposait plus au déclenchement de la 1ère guerre mondiale, le 3 août. On connaît la suite.

Et pourtant, l’assassinat de Jaurès n’a pas assassiné la volonté de paix qui, j’en suis convaincu, nous habite tous ici ce soir.

Je vous remercie.

Dernière modification : 22/08/2014

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